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Moments précieux

2 janvier 2016

Violette, nouvelle écrite en 2014

Violette

Hier soir, elle a tiré de sa mine rouge, teintée d’un léger désespoir, un trait sur la quatre-vingt quatrième ligne de la liste.

Il faut que vous sachiez que le bleu est réservé aux noms. Le noir se charge des adresses. Quant au rouge, il a la lourde tâche de rayer… quatre-vingt-quatre fois qu’il tire un trait sur un espoir.

Le vert patiente, patiemment. Il aura le privilège d’entourer la bonne ligne.

Allergique au clavier, elle « stylote » jour et nuit cette liste dans un cahier depuis bientôt huit ans.

Méthodiquement, elle note un nom, elle note une adresse et elle tire des traits avec l’aide de son compagnon à quatre couleurs…

De Jacques Brel à Simone de Beauvoir, la liste des noms s’allonge. Quant aux adresses, elle les trouve dans l’annuaire et les recopie consciencieusement.

Sur la carte jaunie scotchée sur un mur, quatre-vingt-quatre punaises rouges pour les endroits déjà visités. Une punaise bleue pour le prochain lieu où scintille encore une lueur d’espoir. 

En plus de la carte, la solitude tapissait depuis longtemps les murs de l’appartement. Solitude rompue une fois l’an dernier. Seule cette femme venue la recenser avait franchi la porte. Recensement, des cases et des croix dans un questionnaire. A métier, elle n’avait pas hésité : « chercheuse » avait-elle noté dans la catégorie « autres professions ». On compterait une comptable de moins dans la population française cette année-là. Fausser les statistiques l’amusait un peu et sa quête faisait d’elle une chercheuse avant tout.

Ses journées au travail dégoulinaient de chiffres à caser méticuleusement dans un plan comptable, de comptes à vérifier. Ses journées de travail dégoulinaient de monotonie.

Ses soirées avaient, elles, l’odeur de la mélancolie.

Ses nuits étaient peuplées de rêves à faire des infidélités aux chiffres. Chaque matin, le réveil n’en devenait que plus cruel, lorsqu’était venu le moment de ré-ouvrir les yeux sur la réalité.

Seuls les moments passés en compagnie de son cahier et de son fidèle compagnon à quatre couleurs venaient rompre le rythme de sa vie.

Puis arrivaient les jours où elle partait en quête.

Rituel immuable. 

Chaque premier mardi du mois, choisir l’endroit à visiter. Consulter la liste, punaiser du bleu sur la carte de France, apprendre l’adresse par cœur. En effet, il était hors de question que le cahier et les quatre couleurs l’accompagnent. Elle y avait mûrement réfléchi huit ans plus tôt et elle ne pouvait prendre le risque de les égarer. Ils restaient là à l’abri des murs et du bruit du monde.

Venaient ensuite les jours d’attente à se répéter l’adresse pour se rassurer, à imaginer le lieu, à se demander si elle trouvera enfin là… à espérer enfin utiliser le vert.

Elle aimait la langue française qui permettait aux jours de tomber les uns après les autres… jusqu’au troisième samedi de chaque mois.

Ce jour-là, elle quittait ses murs, ses chiffres, son cahier et ses quatre couleurs. Les premières fois, elle avait fait les trajets à pieds. Depuis quelques temps, elle devait surmonter sa crainte des trains.

Le bruit des gares l’effrayait.

Sa maman disait que ce dégoût pour les choses ferroviaires lui venait de son arrière-grand-père, chef de gare, happé par un train soixante-quinze ans plus tôt sur un quai. 

Elle n’aimait pas ces trains impatients, impitoyables au point de partir alors qu’un passager court encore au bout du quai.

Elle supportait difficilement ces annonces répétant inlassablement des chiffres : numéros de quai, de train, horaires, retards…

Assise dans une voiture toujours en couloir dans le sens de la marche, elle devait parfois subir des humeurs, des moments de vie avec ces anonymes.

 « Allô, Papa ? »… émotion, fierté, inquiétude dans la voix… « Mélo est à la maternité. J’ai obtenu une permission de huit jours. Je suis dans le train. A la gare, je prends un taxi et je la rejoins. … Oui, je serai là-bas à temps … Oui, j’ai appelé Maman tout à l’heure … Oui, je te donne des nouvelles ».

Après l’appel qu’il vient de passer depuis son téléphone portable, chaque passager de la voiture douze du train soixante-seize mille deux cent huit a partagé l’intimité de cet homme bientôt papa.

 « Nous arrivons dans quelques instants en gare de Toulouse. Avant de descendre de ce train, veillez à ne rien oublier à votre place… ».

Ni sac, ni valise, ni le chemin de la quête… ne rien oublier. 

L’endroit n’était jamais bien loin de la gare.

Une fois arrivée, toujours cette même émotion en franchissant la porte toujours vitrée. Toujours la même sensation en s’enfonçant dans ce silence et cette douceur des pas feutrés.

Sera-t-il là du côté des lettres R et S ?

Elle se hisse sur la pointe des pieds pour attraper un roman. Ici aussi, l’injustice reprenait ses droits avec ces livres perchés en hauteur qui seront moins souvent choisis que ceux à portée de main. Quant à ceux s’ennuyant sur l’étagère du bas, ils tentent parfois d’attirer l’attention avec une couverture plus pimpante espérant être les heureux élus d’un lecteur suffisamment curieux pour se baisser jusque-là.

Elle avait appris à oser briser le silence en laissant échapper un roman de ses mains pour le faire tomber au sol. Elle espérait attirer l’attention de celui qui viendrait s’agenouiller pour lui tendre le briseur de silence. Mais jusqu’à ce jour encore, elle avait dû se résoudre à le ramasser elle-même parfois sous le regard réprobateur d’un lecteur agacé.

Elle parcourt les allées, s’attarde entre Bel Ami et Madame de Bovary. 

Elle s’est assise, là, dans la section « revues » où elle tourne les pages d’un hebdomadaire économique choisi au hasard.

Elle voit cet homme entrer. Il est chargé d’une pile de livres… elle tente d’accrocher son sourire… avant d’entendre « papa » de la voix d’un enfant qui l’accompagne. Elle replonge dans les pages insipides et entrevoit la punaise rouge pointer son nez.

Et pourtant, Violette l’a lu dans un article avant de commencer sa quête… Et pourtant, Violette sait que les statistiques le confirment… « Une femme a huit fois plus de chance de rencontrer l’homme de sa vie dans le rayon électricité d’un magasin de bricolage qu’entre deux romans attendant sagement d’être lus sur les étagères d’une médiathèque de quartier ».

D’où Violette tenait-elle ce goût à faire mentir les statistiques ? 

 

Cabotine, 2014

 

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2 novembre 2014

A comme arbre

Les arbres s’élancent à l’assaut du ciel. Bravant béton et sécheresse, ils plantent leur racines puissantes profondément dans le sol jusqu’à accrocher le basalte. Gris sur brun, à les regarder, on les croirait faits du même sang. Au sol, les rares herbes se débattent pour trouver de l’eau. Un paysage désolé et soudain troublé. Du ciel lourd, de larges gouttes tombent. Espacées les unes des autres, elles descendent dans une verticalité parfaite pour venir s’étaler sur le sol, sur la pierre, sur le bois. Des taches apparaissent et finissent par se confondre. Un temps, les matières absorbent la pluie. Assoiffées, elles semblent se gorger sans fin. Quand l’averse s’arrête le ciel redevient clair en quelques minutes seulement. Un soleil de plomb vient heurter le paysage. Tout étincelle de reflets, de lumière. Le jour pourtant est sur le point de tomber. Mais il semble comme suspendu à un fil, attendant un signal pour décliner.

Le chien est trempé. Ses poils collés à sa peau le font plus maigre qu’il ne l’est déjà. Il secoue son corps pour se sécher puis va se désaltérer à la flaque d’eau là-bas, seul souvenir de l’averse. Au village, où il s’est parfois risqué, on le dit « errant » ou « pelé »… On le chasse à coups de pierres et de bâton. Peu lui importe, il se sait le gardien de ce lieu désolé et aime cette solitude faite de béton et de sécheresse. Il joue un moment avec les derniers reflets du soleil sur le mur puis s’assoit là, à l’ombre de cet arbre, et attend la fin du jour.

 

Mélissa et Cabotine – Octobre 2014

Mélissa a décrit le lieu (inspiré du site du lazaret à la Grande Chaloupe - Ile de la Réunion) puis Cabotine a introduit le chien.

2 novembre 2014

Dans le dictionnaire des souvenirs, je voudrais le V... comme valise

Je me souviens de ce dimanche-là. Maman est rentrée  plus tôt que d’habitude. Elle était vêtue de son imperméable noir et portait à la main son parapluie jaune.

« Prends mon parapluie, Simon et déposes le dans la baignoire pour le faire sécher… fais attention, tu mets de l’eau partout».

Traverser la maison avec un parapluie trempé sans mettre de l’eau par terre… prouesse que je n’ai toujours pas réussi à accomplir à 72 ans.

La peur et les larmes se lisaient sur le visage de maman.

Elle était là debout, les bras ballants, le regard perdu… Et soudain, j’ai lu sa décision sur ses traits.

« Simon, vas me chercher la valise, s’il te plait »

« Laquelle, maman ? La petite ? »

« Non, la grande. La rouge. Celle qui est au-dessus de la vieille armoire. Fais attention elle doit être pleine de poussière ».

Enlever mes chaussures, grimper sur le lit, me mettre sur la pointe des pieds, tendre les bras pour atteindre la valise perchée là-haut.

« Je la pose où la valise, maman ? ».

« Sur mon lit ».

J’entrais dans la chambre de mes parents. La chambre où j’avais vu le jour
10 ans plus tôt. Tout y était religieusement en ordre. Pas un pli sur le couvre-lit, les tapis, les rideaux. Jusqu’au parquet ciré qui sentait le propre. Et tout y sentait aussi l’absence de Papa.

« Simon, prépares tes affaires. Juste ce qu’il faut pour remplir la moitié de la valise. Pas plus ».

« Mais maman, je vais où ? ».

« Tu verras. Tu pars avec moi. Dépêches toi, on doit être à la gare dans une heure ».

« Mais maman… ».

« Je t’en prie, Simon, dépêches toi… ».

« Mais maman, demain c’est lundi, y’a école ».

« Simon, prépares tes affaires et ne poses plus de questions, s’il te plait ».

Résigné, j’obéissais.

Un quart d’heure plus tard, nous quittions la maison sans que maman ferme la porte à clé comme si nous allions revenir dans un instant ou partir pour un voyage sans retour.

Dehors, il pleuvait encore, il faisait froid… l’hiver s’installait. J’avais mis mon manteau gris, celui avec l’étoile jaune.

 

Cabotine, octobre 2014

 

2 novembre 2014

Dans le dictionnaire des souvenirs, je voudrais le H... comme horloge

Au centre du village, la boutique. Alex, boutiquier derrière son comptoir. Planté là depuis tant d’années que la couleur des murs a déteint sur sa peau. Des journées réglées comme l’horloge fixée
là-haut au-dessus de la porte.

Tourner la clé dans la serrure avant l’aube, ouvrir les volets en bois pour laisser entrer les étoiles. Compter la recette de la veille, accueillir le premier client, toujours le même, Anicet ponctuel comme l’horloge fixée là-haut au-dessus de la porte. Vendre et encaisser, vendre encore et encaisser encore…

Puis ce jeudi-là.

« Bonjour Alex »

« Bonjour Anicet »

« Tu pourras me servir… »

« Ouais, te fatigues pas la bouche, Anicet… vingt ans que je te sers la même chose tous les matins »

« Et presque vingt ans que tu me râles après tous les matins… C’est un peu comme le tic-tac de l’horloge… ça ne change pas… mais dis donc Alex… le tic-tac de l’horloge… »

« Bah quoi, le tic-tac de l’horloge » rétorque Alex

« T’entends pas ? Y’a plus de tic-tac ! »

« Quoi, qu’est-ce que tu racontes ? Chut… bah oui t’as raison, y’a plus de tic-tac ».

 « Regardes, elle est arrêtée » constate Anicet.

« Bah, j’le vois bien… Arrêtée… ça me met la tête en l’air cette histoire-là » répond Alex les yeux fixés sur l’horloge. « Depuis qu’mon grand-père a repris la boutique au chinois, y’a toujours eu le tic-tac ici… »

« Tu t’souviens, Alex, quand on était gamins et qu’on rentrait en retard de l’école ? Ton père prenait toujours l’horloge à témoin pour nous dire : « vous avez vu l’heure, les garçons ? Et ton frère qui riait à chaque fois et se prenait une taloche ».

« Ah oui que j’me souviens, c’était le bon temps… ».

« Dis il est quelle heure ? » demande Anicet.

« Bah comment tu veux qu’je sache, moi, l’heure qu’il est avec l’horloge qui marche plus ? » s’emporte Alex

« C’est juste que j’suis là depuis un moment et qu’à c’theure, le soleil se lève d’habitude».

« Le soleil ? Bah oui, t’as raison. Y fait encore nuit » répond Alex en scrutant le ciel étoilé.

« Ca m’ dit rien de bon, tout ça… plus de tic-tac, pas de soleil », s’inquiète Anicet.

« Bon pour le tic-tac, j’vais appeler le père Bourras, l’horloger. Il rajeunit pas et sa vue baisse. Pas sûr qu’il saura quoi faire. Pour le soleil, j’l’ai toujours dit qu’un matin, il oserait plus se lever sur notre monde devenu fou. » conclut Alex.

 

Cabotine, octobre 2014

21 septembre 2014

Mon enfer, ton paradis

Le 46 de cette rue-là dont ma mémoire effacé le nom. Ce portail rouge à la peinture écaillée que j’ai franchi pour la première fois cet après-midi d’un lundi de septembre.

Nous venions de te dire adieu dans ce joli cimetière ensoleillé. Je venais de te laisser là-bas en compagnie de cet oiseau déjà posé sur ta tombe.

Arriver seul au n° 46, pousser le portail rouge, traverser l’herbe verte de l’allée et franchir la porte grise entrouverte.

J’avais rayé deux jours dans mon agenda surchargé pour faire le vide de ton quotidien avant de rejoindre le mien.

Des vêtements, de la vaisselle, quelques meubles sans âge, un réfrigérateur essoufflé prêt à rendre l’âme, un exemplaire du journal local de l’année passée…

Un rapide tour d’horizon et mon enfer commençait là où tu avais soupiré une dernière fois pour rejoindre ton paradis.

Pas un bibelot, pas un livre, pas une seule lettre, pas une photo pour me raconter un peu de ta vie de ces vingt années loin de toi… Pas un chat, un poisson rouge à adopter pour me parler de tes peines, de tes joies.

Le silence resterait silence. Mon enfer resterait enfer.

********

Le vieil homme ricanait, se parlait à haute voix : « ah, ah, il va s’en souvenir de ma mort ! ».

Le vieil homme comptait : « vingt ans et deux mois qu’on n’est pas vu, ni parlé… depuis ce fameux dimanche. Combien de repas dominicaux ont vu de famille se déchirer ? ».

Le vieil homme comptait encore : « le médecin m’a dit dix jours tout au plus… aucune confiance en ce charlatan… comptons cinq jours ».

« Et bien ce sera dimanche… ».

Le dimanche, épuisé par la maladie mais puisant l’énergie dans la rancœur et l’ennui du dimanche, le vieil homme alluma un feu dans la cour… y jeta livres, photos, lettres, bibelots et poisson rouge.

« Ah, ah, il va s’en souvenir de ma mort ! ».

 

Cabotine, septembre 2014

Textes écrits à partir d'une photo de Terre Sainte, Ile de la Réunion et du thème "mon enfer, ton paradis)

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25 juillet 2014

Dans le dictionnaire des souvenirs, je voudrais la limonade

Tout était d’abord une histoire de chaussures.

Ni Décathlon ou autre magasin de sport dans les villes à cette époque. L’essayage, le choix et l’achat de chaussures de randonnée se faisaient dans cette boutique aux étagères en bois de cette petite ville de montagne où nous avions posé tente et bagages la veille.

La plus jeune récupérait les chaussures de la deuxième, la grande cédait ses chaussures à la cadette et il fallait chausser l’aînée que j’étais. Certaines années les chaussures n’ayant pas survécu à deux filles Guillaumat, la petite franchissait aussi la porte de la boutique chaussée de neuf.

Tout était aussi une histoire de gamelles. Cette dépense comme toutes celles de nos vacances, nous les devions à toutes les gamelles préparées par Maman et emportées par Papa. Les repas froids qu’il mangeait dans son camion le midi pendant que d’autres dépensaient leurs frais de route au restaurant, vous savez les « routiers » qu’on trouve au bord des grandes nationales.

Tous ces frais épargnés semaine après semaine pour payer l’essence nécessaire à transporter une famille nombreuse de son plat pays normand à ces si jolies montagnes, pour la location d’un emplacement sur un terrain de camping… Quitter le temps d’un mois l’appartement des onze autres mois, chausser les enfants dont les pieds grandissent si vite…

Tout continuait par une histoire de limonade, pour son goût sucré et pétillant…

Cette limonade bien méritée après quelques heures de marche sur les sentiers… après ce pique-nique de saucisses grillées au bord d’un torrent où nous avions vainement tenté d’arrêter l’eau en construisant un barrage.

S’attabler à une table en bois à la terrasse de ce gîte de montagne, commander des boissons au goût d’exceptionnel, de vacances à la montagne.

Je sais exactement d’où me vient mon goût pour la Cot Citron*.

 

Cabotine, juillet 2014

A Papa et Maman qui m’ont appris le goût de la montagne et de l’exceptionnel

 

*marque de limonade réunionnaise

23 juin 2014

Dans le dictionnaire des souvenirs... l'école

La cloche a sonné.

Sabine soupire.

Elle regagne le rang des élèves. La petite troupe traverse le préau.

Il pleut ce matin et le préau a abrité les jeux et les rires des enfants. Les élèves entrent dans le couloir qui mène à la classe.

Les portemanteaux sont là alignés sagement le long du mur attendant vestes, blousons, écharpes et bonnets qui patienteront jusqu’à l’heure du déjeuner.

Sabine accroche lentement son duffle-coat beige et son écharpe bleue, celle que sa grand-mère lui a offerte à Noël. Collée sur le mur au-dessus de son portemanteau une image, un paysage de montagne enneigé. Elle rêve un instant à cette neige blanche bien plus belle que la pluie grise.

Les odeurs de la cantine arrivent jusque-là… ses pensées vagabondent vers le trajet qu’elle fera ce midi en compagnie de ses sœurs pour déjeuner à la maison avec sa maman.

Puis, elle entre dans la classe. La classe enveloppée de cette douce chaleur diffusée par les radiateurs. La classe, avec ses senteurs de craie, de buvard et d’encre, des senteurs qui ont un goût d’éternité.

Sabine s’assoit. Deuxième rangée, quatrième bureau. Elle soulève son pupitre et prend son ardoise, une craie blanche et la petite éponge soigneusement rangée dans sa boîte ronde et verte en plastique.

Sur l’ardoise, la solution du problème étudié avant la récréation. Son calcul est faux. Elle le sait. La maîtresse a dit qu’il fallait trouver 247 kilomètres. Sur l’ardoise, une addition, une soustraction et un résultat de 275 kilomètres.  

Sabine soupire.

Elle se lève munie de son ardoise, de sa craie blanche et de son éponge. Elle va s’asseoir au pied du tableau avec huit de ses camarades. Les huit qui n’ont pas le bon résultat sur leur ardoise.

Ceux qui ont compris vont commencer à recopier la poésie.

La maîtresse explique le problème. Tout semble soudain si simple. Elle propose à Sabine de venir refaire le calcul sur le grand tableau noir. Sabine se lève, prend une craie bleue posée sur le rebord du tableau et se concentre. Tout était si évident il y a quelques instants. Mais tout se complique à nouveau. Il  lui est impossible de suivre le raisonnement pour trouver le bon résultat. La maîtresse, patiemment, réexplique, accompagne Sabine dans ses calculs et, ensemble, elles trouvent 247 kilomètres.

Sabine dit qu’elle a enfin compris pour rassurer la maîtresse mais elle sait qu’il n’en est rien et que ces quelques kilomètres de différence auront une incidence sur son parcours scolaire et son parcours de vie.

Elle est bonne élève. Malgré ses mauvais résultats en calcul, elle collectionne les images et les bons points et arrive toujours troisième, seconde ou première de la classe lors du classement trimestriel.

Seul bémol noté de la belle écriture de la maîtresse sur le carnet de notes : « difficultés en calculs ».

Sabine se rassoit devant son bureau, range ardoise, craie et éponge et commence à recopier la poésie.

Elle ne le sait pas encore mais bientôt viendront les pourcentages. Quand, avec l’aide de son papa, elle aura enfin compris ce que représentent 25 % ou 50 %... voilà qu’arrivera l’exaspérant 120 %. Son papa lui expliquera que lorsqu’on coupe une tarte aux pommes en deux, chaque moitié représente 50 %. Mais il faudra que Sabine attende bien des années pour comprendre que quelque chose puisse faire plus qu’une tarte aux pommes.

Viendront ensuite d’autres cauchemars nommés algèbre, Pythagore et équations.

Un jour ou une nuit, elle ne se souviendra plus, Sabine cessera de soupirer, se détachera doucement de ceci, renonçant à comprendre…

Les mots l’aideront pour cela… les mots des poésies, des livres parfois roses ou verts… « les petites filles modèles », « le club des cinq », « Alice détective », « le dormeur du val », « Bel Ami », « Au bonheur des Dames », « Les précieuses ridicules »…

Les mots, les livres qui l’accompagneront un peu partout.

Sur les bancs de l’école, du collège et du lycée…

Dans la bibliothèque de quartier pas encore rebaptisée médiathèque.

Pendant les repas, un livre posé sur ses genoux et caché sous la nappe. « Sabine, manges. Ca va être froid. Tu liras après le repas ».

Le soir dans sa chambre partagée avec ses soeurs. « Sabine, éteins la lumière, on est fatiguée, on voudrait dormir ».

Dans des sacs : du cartable au sac à dos en passant par le sac à mains et le sac à langer.

Le jour où Sabine décida de s’éloigner des nombres, des théorèmes et autres pourcentages, elle se mit tout simplement à écrire des mots pour faire des infidélités aux chiffres.

 

Cabotine, le 9 juin 2014

Toute ressemblance avec une personne de votre entourage serait fortuite !

16 juin 2014

Alcool

Le nectar sucré d’un Sauternes, la douceur d’un kir à la violette, la rondeur d’un bon Bordeaux, le coup de fouet d’un rhum arrangé, la fraîcheur d’une Dodo…

De matins en soirées arrosés, il tue les souvenirs dans l’alcool.

Plus efficace qu’Alzheimer, l’alcool lui permet d’oublier.

Quels souvenirs restent-ils d’une soirée arrosée ? Les premiers bouchons qui sautent, les premiers verres qui trinquent, les premières brumes qui envahissent le cœur et le cerveau, les souvenirs qui prennent le large…

Puis le néant noir, gris ou rouge…

Emerger doucement, revoir le défilé des souvenirs…

Puis reprendre un verre…

 

Cabotine, juin 2014

7 juin 2014

Dans le dictionnaire des souvenirs, je voudrais l'escalier...

La maison de papi et mamie.

Le premier escalier… le plus émouvant sans doute comme toutes les premières fois. Aucun souvenir de cet escalier là mais il existe forcément pour mener à ce grenier dont je garde une seule image : des fils tendus et du linge qui sèche là-haut à l’abri de la pluie.

Puis l’escalier qui m’a accompagné jusqu’à mes 16 ans. Ces deux étages pour arriver « chez nous ». Un repas partagé au 3ème, des parties de cartes interminables au 4ème… Ces marches qui se souviennent sans doute de mes joies et peines de ces âges-là.  Grimper cet escalier, grandir au fil des années.

Quitter cet escalier parce là où on habite est déclaré non conforme aux normes de sécurité… s’exiler dans le quartier d’à côté.

Destination 11ème étage… l’escalier délaissé qu’on emprunte seulement quand l’ascenseur est en panne.

Les coqs chantent, la lune brille et les escaliers grincent.

Se souvenir de l’escalier familial partagé avec oncles, tantes, sœurs, frère, cousins, cousines…

Le grincement du premier levé qui descend sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les encore endormis de la maison… puis l’odeur du café, le jour qui se lève derrière les volets, le doux bruit des bols posés sur la table.

Le même escalier que je montais à 5 ans un plateau dans les mains… essayant de ne rien renverser du repas de ma tante, malade, et alitée au premier étage.

Puis l’escalier estival des vacances en Bretagne.

Le grincement du retour tardif… avec la lune et les étoiles comme seuls témoins. « Chut, chut… ne faites pas de bruit… ils avaient dit 22 heures et il est presque minuit ».

Et la magie de l’écriture qui me permet de grimper à nouveau chacun de ces escaliers…

 

Cabotine, mai 2014

6 juin 2014

Je suis là depuis bientôt 50 ans...

Je suis là depuis bientôt 50 ans… cachée entre le matelas et le sommier… Les matelas et les sommiers se sont succédés… les neufs remplaçant les trop vieux mais je suis toujours là.

Chaque soir, elle me sort de ma cachette. Il ne se passe jamais plus de dix minutes avant qu’elle ne commence à pleurer…

Moi qui aurais tant aimé transporter du bonheur, de l’amour… je suis annonciatrice de l’effondrement de sa vie, de ses espoirs.

Chaque soir, elle relit ces mots…

 

« Bureau de Renseignements aux Familles

Monsieur le Maire,

J’ai l’honneur de bien vouloir vous prier de prévenir Madame Léone LACOUR, avec tous les ménagements nécessaires en ces circonstances, du décès de son fils Pierre Henri LACOUR à Verdun le 8 août 1916.

Je vous serai très obligé de présenter à la famille les condoléances de
Monsieur le Ministre de la Guerre et de me faire connaître la date à laquelle votre mission sera accomplie.

Agréez, Monsieur le Maire, l’expression de mes sentiments distingués. »

 

Chaque soir, elle se souvient…

 

 

Cabotine, mai 2014

Personnifier un objet parmi sa liste de ses souvenirs.

Dans ma liste des souvenirs, « la lettre » entre la balançoire et le vélo orange.

20 mai 2014

Le bruit du pilon

Le bruit du pilon, le pilon du bruit, me voilà avec ce souvenir d’une autre et ces mots qui résonnent dans ma tête… tchong, tchong…

Des mots qui ne m’évoquent aucun souvenir d’enfance. Pas de pilon chez moi, en Normandie. Pas de bruit du pilon dans l’hémisphère nord.

Le bruit du batteur électrique pour monter les œufs en neige, le bruit du robot Marie pour mixer la soupe de légumes, le bruit du tic-tac de la pendule de la cuisine, le bruit du cercle en verre qu’on posait au fond de la casserole et qui tintait toc-toc quand le lait commençait à bouillir… le tic-tic du minuteur chargé de surveiller la cuisson des œufs à la coque, le miaulement du chat quand il a faim le matin.

Mes souvenirs s’égarent, vagabondent une fois de plus…

Ah oui, le pilon du bruit… mais j’ai une amie Mélissa qui saura vous raconter ce souvenir-là mieux que moi.

 

Cabotine, avril 2013

Le jeu d’écritures consistait à lister des mots qui évoquent des souvenirs… puis ô surprise, à donner un souvenir à quelqu’un qui écrira à son sujet. Mélissa m’a gentiment offert le « bruit du pilon ».

27 avril 2014

Lettre à Marissa

Chère Marissa,

Ta lettre est arrivée ici hier. Célia l’a récupérée au café du village et je l’ai trouvée en rentrant de la rizière. Nous récoltons le riz et malgré la fatigue, je l’ai lue tout de suite.

Il est tard mais il faut absolument que je te réponde aujourd’hui pour que tu saches au plus vite.

Ne t’inquiètes pas, la famille va bien. Les frères et sœurs se chamaillent souvent mais l’institutrice est satisfaite de leur travail. Célia commence à savoir lire et elle a pu déchiffrer quelques mots de ta lettre : village, soupe et nues… J’ai été bien embêtée pour lui expliquer ce dernier mot.

Maintenant il faut que je te dise. Une autre lettre que la tienne est arrivée hier. Une enveloppe beige avec des timbres rouges et blancs. Elle t’était adressée. Tu vas sans doute m’en vouloir d’avoir appris la nouvelle avant toi mais je l’ai ouverte. Je voulais glisser la feuille blanche, lisse et brillante avec ma feuille quadrillée et un peu jaunie pour te l’envoyer… mais je n’ai pas pu résister. J’ai lu, relu et relu tant j’avais peine à y croire. J’espère que tu vas d’abord prendre connaissance de ma lettre pour te préparer à la nouvelle.

Tu te souviens de ce courrier que nous avions confié à ce touriste européen qui nous avait promis de l’affranchir et de le poster dès que possible ? Oui tu t’en souviens forcément. Nous n’avions pas l’argent pour l’envoyer en France.

Je sais aujourd’hui qu’il a tenu sa promesse.

La lettre d’hier venait de Paris. Madame Louise DUHAMEL t’écrit. Elle te dit que les éditions DU MANOIR ont décidé de publier ton recueil de poèmes. Oui, oui je t’assure. La lettre était traduite et j’ai bien compris. Elle te dit qu’ils vont bientôt te recontacter pour que tu viennes à Paris présenter ton recueil. Elle parle du Salon du Livre, porte de Versailles, au mois de mars. Ca je n’ai pas bien compris, je te l’avoue.

Tes poèmes… je les connais par cœur tant tu me les as lus quand tu les écrivais dans notre petite chambre le soir à la lueur d’une bougie et parfois de la lune quand la bougie manquait. Un recueil de tes poèmes, Paris, des éditions ?

Je n’ose aller en parler à Sœur Marie-Laurence avant que tu n’aies appris la nouvelle. Il faut que ce soit toi qui lui annonces. Sœur Marie-Laurence qui a tant insisté pour que tu envoies tes poèmes, qui t’a donné l’adresse. Si tu tardes trop à revenir, j’irai au cimetière sur sa tombe lui raconter. De là où elle est, elle sera tellement heureuse.

Il faut que tu reviennes au village, Marissa. Quittes Hong Kong dès que tu recevras ces lettres. Il faut que tu sois là quand Madame Louise DUHAMEL va te recontacter. Va-t-elle venir te chercher ici ? Va-t-elle t’envoyer un autre courrier avec le billet d’avion pour Paris ? Il faut que tu sois là car je ne saurais pas quoi faire quand ça arrivera.

Reviens vite, s’il te plait. J’ai tellement hâte de te serrer dans mes bras, de me réjouir avec toi, d’annoncer la nouvelle. Peut-être que nous te verrons sur le vieux téléviseur du café du village quand tu seras à Paris ?

En attendant ton retour, prends-bien soin de toi. Moi qui ai lu la lettre avant toi, je commence déjà à rêver à ta nouvelle vie.

Ta chère Alicia.

 

En réponse à la lettre de Marissa, écrite par Mélissa en mars 2014.

Cabotine, avril 2014.

1 avril 2014

Destination étoilée

Hier à 23 heures, la nouvelle est tombée.

« Chers passagers, une avarie nous empêche de poursuivre notre route vers le pays des vacances. De plus cette avarie stoppe le bateau qui va à la dérive depuis 18 heures. La panne des instruments de bord ne nous permet plus de savoir vers quelle direction nous dérivons. Je vous demande de conserver votre calme. L’équipage et moi-même ferons en sorte de gérer au mieux cette situation imprévue. Pour compenser ces désagréments non-inscrits au programme de votre croisière, je vous propose de vous installer confortablement dans un des transats du pont supérieur, de fermer les yeux et de vous laisser aller à vos rêves les plus fous, les plus doux… ».

Il est marrant ce capitaine… moi qui rêvais depuis deux ans de ces vacances au bout du monde, il me demande de m’asseoir sur un transat.

Bon… quoi faire d’autre de toutes façons… mes connaissances en bateau, instruments de bord et autres foutaises de la navigation sont inexistantes donc on ne comptera pas sur moi pour une aide quelconque.

Le transat bleu et blanc là-bas… près de la piscine… un peu à l’écart. On est bien dans ces transats… Et ces étoiles que je vois là-haut, elles ne peuvent pas nous aider à savoir où on va ?

Je ferme les yeux… mon rêve le plus fou ? Non ! Impossible ! J’ouvre les yeux… les étoiles me font signe, la lune, attentive, bienveillante, m’observe… Et pourquoi pas ?

Rejoindre Marc là-haut… l’aider à compter les étoiles, à comprendre ce qu’elles font là, pourquoi certaines filent, les unes brillent, les autres meurent…

 

Cabotine, mars 2014

Sur le thème : Bateau de croisière – Le capitaine annonce que nous allons nous diriger vers une destination inconnue.

10 mars 2014

Cette femme sur la photo...

Les vendeuses

10 mars 2014

Cette femme sur la photo...

Cette femme sur la photo… pas celle qui s’abrite sous un parasol bleu… l’autre, devant, qui se tient debout avec une gravure à la main, qui est-elle ?

Elle a hanté mes rêves pendant des années… je la retrouvais à chaque fois à cet endroit… souvent assise sur la chaise fragile derrière elle, parfois debout un peu chancelante, quelquefois entre la femme au parasol et le garçon à la casquette. Toujours vêtue de la même robe noire. Je ne suis jamais parvenue à lui donner d’âge. Pourrait-elle être ma mère, ma sœur ?

Elle était toujours là, sous ces immenses fenêtres à barreaux, comme autorisée à sortir de prison la journée avant d’y retourner le soir.

J’ai toujours voulu croire que c’était à Berlin, ma ville natale.

A chaque visite qu’elle me rendait, les gravures étaient étalées devant elle, en un tas chaotique. Des gravures de chevaux, de cavaliers, de cavalières… celle qu’elle tient d’une main tremblante représente l’impératrice Elisabeth d’Autriche en promenade à cheval dans la forêt viennoise.

Parfois elle me rendait fou avec ses gravures, sa robe noire, son visage sans âge, ses visites nocturnes.

Mardi, au fond du tiroir d’une commode, j’ai trouvé cette photo et une clé… dans cette maison que je loue à Budapest pendant le tournage du film…

Autour de la clé, un papier avec le nom de la banque…

Une banque de Genève dont j’ai franchis la porte aujourd’hui. La jeune femme me précède dans le long couloir aux murs gris, ses talons claquent sur le sol.

Depuis quelques minutes, je sais qu’il s’agit de la clé du
coffre-fort n° B 482 Z 4200, coffre-fort ouvert le
4 septembre 1842 par Henriette SAVON.

Nous voilà dans la salle des coffres… la jeune femme aux talons bruyants me désigne le n° B 482 Z 4200, tout en haut la quatrième rangée. Elle me tend la clé et sort de la pièce.

Les premières fois sont des moments uniques, toujours émouvants, parfois inoubliables… 

Me voilà, vêtu de mon costume noir, emprisonné dans cette salle… ma main tremble légèrement… je vais ouvrir cette boîte grise, froide, silencieuse.

Je me mets sur la pointe des pieds, je chancelle un peu…

J’entrouvre la porte du coffre, je n’ose pas regarder…

Puis le visage de cette femme, Henriette, se reflète soudain sur la face lisse et sans âme de la porte du coffre…   

A l’intérieur, les gravures jetées là dans le même chaos que sur la photo…

 

Cabotine, mars 2014

16 février 2014

Inventaire à la Prévert... moite, entonnoir, rouge, glace, galette...

Sur une idée de Mélissa Gribouille… écrire un texte avec les mots « moite – entonnoir – rouge – glace – galette » et dont le début serait « mon chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles, je m’avançais dans les rues de cette ville inconnue quand au détour d’une rue…

Voilà où l’imagination (qui dispose d’environ vingt minutes) peut se balader…

 

Mon chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles, je m’avançais dans les rues de cette ville inconnue quand au détour d’une rue, je me vis dans cette glace posée là, sur le trottoir, par des déménageurs occupés à charger tout un bric à brac de meubles et d’objets… Armoire, cheval à bascule, berceau avaient déjà trouvé place dans le camion. Allaient bientôt les rejoindre cette glace et ce vieil entonnoir rouillé attendant sur le trottoir.

Me voir dans cette glace… avec ce grand chapeau rouge me fit sursauter.

Soudain la peur me saisit… mes mains moites se mettent à trembler…

Que m’était-il passé par la tête tout à l’heure ?

Pourquoi avoir volé cette galette dans la vitrine de cette pâtisserie ?

Une envie incontrôlable de fève, de couronne et de frangipane…

Etre incorrigible à ce point… on ne se refait pas à mon âge… toujours cette manie de chiper quelque chose quand je me promène dans une ville inconnue !

Cabotine, février 2014

16 février 2014

Là où je t'emmènerai (avec ou sans "s" ? mais là n'est pas l'essentiel...)

Là où je t’emmènerai…

Nous choisirons le jour du Seigneur pour notre arrivée.

Nous suivrons les habitants endimanchés marchant le long des routes. Cette petite fille tenant la main de sa maman, vêtue de sa plus jolie robe blanche, cette petite fille coiffée de son chapeau tressé en feuilles de vacoas.

Sa maman, elle, se protège du soleil avec une ombrelle.

Nous les suivrons jusqu’à l’église Saint Gabriel, là où leur foi les mènent chaque dimanche.

Nous pour qui la foi en Dieu importe peu entrerons dans l’église avec eux pour nous recueillir, écouter les chants et être encore un peu plus près du chœur de cette île

Là où je t’emmènerai…

Nous passerons, repasserons et passerons à nouveau par Mont Lubin, ce village posé à la croisée des chemins. Ici, les routes sont fantaisie et n’en font qu’à leur tête… elles ont décidé de ne pas faire le tour de l’île mais préfèrent passer et repasser par Mont Lubin.

Mont Lubin à l’heure des piqueuses de zourites, Mont Lubin à l’heure de la baignade au Trou d’Argent, Mont Lubin à l’heure du marché de Port Mathurin, Mont Lubin avant que le nuit des tropiques ne dépose son manteau sur ce petit coin de paradis.

Plaine Mapou, Mangues, Quatre Vents, Grande Montagne, Patate Théophile, Pointe Coton, Rivière Coco, Baladirou… toute la poésie de l’île dans ses noms de villages. 

Là où je t’emmènerai…

Nous croiserons cette jeune femme marchant sur la route d’un pas tranquille, sa robe rose se balançant doucement, un sac multicolore à la main…

Sous ses pieds, la route qui plonge vers l’océan… la route accompagnée de ses petites bornes en pierre peintes en blanc… la route sur laquelle, ici, on marche davantage que l’on circule

Son pas léger la dirige vers la baie topaze, cette baie où elle vit à l’abri depuis 20 ans, son âge.

En toile de fond, le lagon, majestueux, de ces bleus roi, indigo, pastel, azur, outremer… de ces bleus qui changent selon la couleur du ciel

Là où je t’emmènerai…

Nous culminerons sur le Mont Limon auquel il manque seulement
2 mètres pour atteindre 400 mètres d’altitude. De là-haut, le temps d’une pause, nous tomberons en amour de ce petit coin de terre aride, des pentes en terrasses où pousse le maïs, des maisons peintes en rouge, blanc, jaune, bleu…, de la caverne Patate cachée là-bas, de Port Mathurin capitale ô combien charmante… 

Là où je t’emmènerai…

Nous croiserons des « bonjours » partout, ce vieil homme nous racontera la vie du temps lontan d’il y a 50 ans. Nous goûterons la salade cono cono et le miel d’ici. Nous nous régalerons de citron limon.

Nous danserons le séga l’accordéon et la polka.

Nous irons en bus aux quatre coins de l’île, ces bus baptisés Concorde, Super Copter Tours ou Aigle de la route.

Là où je t’emmènerai

Il faudra repartir... il faudra revenir…

 

Cabotine, tombée en amour de l’île Rodrigues

Février 2014

 

26 janvier 2014

Je vous écris de...

Je vous écris de ma mémoire, celle qui part doucement en exil au fil des jours et des nuits…

Voir les visages, les noms, les mots, les souvenirs s’envoler… la mémoire s’allège, la tête se repose enfin… il me semble retrouver une seconde jeunesse.

Partir lentement vers l’oubli, remonter le cours des souvenirs et s’en libérer petit à petit.

Ne plus savoir qui est ce vieil homme présent à mes côtés chaque matin.

Je vous écris des morceaux que la mémoire a bien voulu me laisser… cette chanson de mes 4 ans…

« Il était un petit navire, il était un petit navire qui n’avait ja-ja-jamais, navigué, qui n’avait ja-ja-jamais, navigué »

Je vous écris de ce voyage que je fais à nouveau chaque nuit en pensées pour ne pas laisser décoller ces souvenirs-là, ces émotions, ces odeurs, ces mots…

Pas de passeport, de sac à dos ou d’itinéraire pour ce voyage-là… Simplement une porte à pousser en début d’après-midi… l’envie de prendre son temps, d’oublier la couleur du ciel au dehors…

Fermer les yeux, sentir l’odeur du neuf, la chaleur du lieu, écouter le silence…

Ouvrir les yeux, croiser d’autres voyageurs… certains presque à genoux, comme en prière, cherchant tout en bas… d’autres qui se hissent et, sur la pointe des pieds, lèvent le bras pour atteindre les cieux et les livres qui ne seront lus que par les plus grands.

Survoler les prix Goncourt et partir en croisière au gré de mon humeur, de mon plaisir, d’un titre improbable… continuer ma collection d’émotions.

Faire escale aux romans, frissonner à la vue des polars, naviguer parmi les cuisines du monde…

Perdre la boussole devant les livres « jeunesse », mourir d’envie d’en choisir un alors que ses enfants ont tourné la page de ces livres-là depuis bien longtemps.

Flâner un moment avec Sissi patientant impatiemment entre Marie Antoinette et la Comtesse de Ségur.

Partir à l’aventure avec d’Artagnan… et se demander de quoi il peut bien parler avec Gaston Phébus et le comte de Monte Christo, ses voisins d’étagère ?

Enfin, arriver à bon port… les récits de voyages… rêver de départs et d’arrivées.

Atterrir sur le titre « un thé chez les éléphants*». Se souvenir encore d’avoir tant aimé boire le thé pour oublier le bruit du monde**.

Jeter l’ancre à la page 10 et lire « La solitude ! Ma foi, c’est bien ce qu’il y a de plus beau au monde, c’est bien la seule façon d’apprendre quelque chose ».

Je vous écris de ce long tunnel dans lequel j’erre et explore mes lambeaux de mémoire… Alzheimer finira bientôt par m’alléger des lointains souvenirs de ce voyage-là. Je vous écris de ma chère solitude.

Cabotine, janvier 2014

 

Merci à Delphine pour ses précieux conseils.

A Géraldine, en souvenir de cette belle balade à la librairie L’Armitière à Rouen un après-midi de janvier 2014

A Micheline, partie pour un voyage sans retour en ce début d’année.

 

*Un thé chez les éléphants | Vivienne de Watteville - Retour au Kenya

**Lu Yü Maître de thé, dynastie Tang (618-907), Le Livre du Thé

26 janvier 2014

Quand le dessin et l'écriture se rencontrent, de quoi peuvent-ils bien se parler ?

Kristof, qui rêve de réveillon improbable, a dessiné pour illustrer une phrase extraite d'une de mes écritures : "s'éloigner des priorités que l'on s'invente pour remplir une vie qui se vide".

Mélissa qui ne manque jamais d'idées pour les palabreurs et écrits vains du jeudi soir nous a proposé cette semaine d'écrire sur le thème d'un dîner improbable.

Le texte qui suit vient donc illustrer le dessin de Kristof (Jour de l'an en forêt) qui venait illustrer la phrase de Cabotine...

Jour de l'an en forêt par Kristof _ janvier 2014

 

 

LES DOUZE COUPS

 

Zut, minuit dix…

J’ai raté les douze coups !

Bon bah tant pis…

« Bonne année, toi »

« Bonne année, Kristof ».

Tout à la dégustation de mes petits pois carottes, j’ai laissé passer l’heure, l’heure officielle, l’heure dictatoriale à laquelle il faut absolument se souhaiter une bonne année.

Repas de fête… Au menu, paté Henaff en boîte arrosé de quelques gouttes de pluies… Tranche de jambon blanc à la sauce rafales de vent… suivie de quelques petits pois carottes cuits à point à la température de 4°. Si délicieux que j’en ai oublié les incoutournables douze coups.

Viendra ensuite le grillé aux pommes dégusté assis, là-bas, sur cette belle bûche abandonnée lors de la dernière coupe.

Certains arbres marqués d’une croix rouge se sont vus accorder un répit pendant cette trêve des fêtes de fin d’année. Mi-janvier, les bûcherons reprendront l’abatage.

Je termine la bouteille de Sauternes, ce vin de « filles » comme aime à l’appeler un sommelier de ma connaissance.

J’ai trinqué avec les arbres, mes seuls compagnons de ce réveillon.

« Réveillonner où ? Dans la forêt ? Organiser un banquet dans une clairière ? »

« Tu vas pas bien, Kristof » m’a répondu mon copain sommelier.

« Mais enfin mon chéri, on va chez mes parents comme tous les ans » a sussuré mon épouse.

« Mais Papa, il va faire froid… puis y’aura pas la télé ! » a hurlé mon fils.

Me voilà donc improbablement en train de franchir seul une année dans cette forêt.

« Allez, re-bonne année Kristof » dis-je en levant mon verre.

« Au fait, Kristof, demain matin, tu fais quoi ? Tu restes ici ou tu retournes là-bas ? ».

 

Cabotine, janvier 2014

Merci à Kristof, "vieux" copain de 30 ans et des poussières. Après avoir traîné dans la cour du même collège, sur les mêmes trottoirs à refaire le monde et à surtout ne rien faire, dans les mêmes boums ou concerts... on ne s'est jamais perdu de vue et c'est tant mieux.

 

 

 

 

23 décembre 2013

Etre un homme ?

Etre un homme ?

Comment aurai-je la prétention de savoir ce qui ferait de vous des hommes, mes fils ?

Si vous trouvez votre chemin de vie dans le respect des autres…

Si vous savez aimer et sortir plus forts du désamour…

Si vous pouvez ne pas vivre une seule vie…

Alors, sans doute, aurai-je le bonheur de vous savoir heureux.

 

Maman, 2013

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